Partie I

An 1, jour 1, Bonjour. J’ai passé hier mes trois cents années de vie et je n’ai pas retenu grand chose. Au lieu de bougies, le vent balaye les poils de mes jambes pour se moquer de moi. Derrière et au-dessus de moi, la carcasse métallique du vaisseau rouille.

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Le ciel est triste, mais ce n’est pas trop agité. Comme je n’ai pas appris grand chose de toutes ces années, j’ai pris la résolution aujourd’hui de ne pas raconter mes expériences. Mais plutôt et enfin, de tenir un journal de bord. Peut-être qu’avec le temps et ma mort qui finira bien par venir, vous trouverez (si vous arrivez un jour ici) autre chose que mon ignorance. Maintenant le deuxième soleil darde ses lointains rayons par dessus le plafond de nuages gris. Le gros bouillon de gris qui flotte d’un horizon à l’autre, s’irise de traces ondulantes blanches. Sur Isabella, mon île déserte, deux soleils se font une sorte de guerre ridicule pour réchauffer l’atmosphère humide. Le premier est un peu mou, le deuxième assez rude. Mais comme ils semblent s’être mis d’accord à plus de trois cent millions de kilomètres d’ici, Isabella respire. La vie vit.

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Mes habits sèchent accrochés à une cordelette de fils électriques entre deux arbres sympathiques. Non, je ne plaisante pas ! Ce sont des arbres, des vrais végétaux qui sont sympathiques. Ils se moquent de moi quand je lave les seuls vêtements qui me restent car je ne suis pas beau tout nu. Ils me laissent entortiller des fils autour de leurs troncs insensibles comme le bout de mes doigts aussi secs que de vieilles saucisses corses. Eux aussi perdent de temps en temps leurs feuilles, comme moi mes cheveux. Mais à certains cycles du temps auxquels je ne comprends rien, les feuilles repoussent et ils vont jusqu’à faire tomber des fruits à mes pieds ou sur ma tête quand je ne m’y attends pas. C’est devenu une sorte de blague entre nous. Mais revenons au présent et au futur très très proche où il va me falloir me rhabiller car si la pluie tombe, mes soins n’auront servi à rien. Des fois je me dis que j’ai bien de la chance de ne pas être du genre féminin.

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En m’appuyant sur le bâton, j’arrive à me relever. La blessure infectée sous la plante de mon pied gauche ne me fait plus trop mal. La rusticité dans laquelle je vis se paye cher. Mais pas trop. La souffrance a son rôle à jouer. Et puis j’ai confiance dans toutes les bestioles et les microbes que j’héberge. Ils n’ont qu’à faire le boulot, non ? Ce ne sera pas la première fois. Les exo-bios (c’est le jargon de notre ancienne caste) d’Isabella ne se sont pas montrés mortels jusque là. Ca doit faire une drôle de sauce dans le sang. De temps en temps j’imagine que je suis colonisé par des fourmilières qui ont trouvé abris dans différentes parties de mon corps et migrent discrètement chaque fois que le troupeau des anti-corps se décide à faire le ménage comme moi ma lessive. Mon bâton n’a pas été pris sur un arbre vivant. Je l’ai trouvé au bord de la rivière qui serpente à un bon kilomètre de là. Finalement je le laisse là et tente une marche courageuse vers le short en toile rêche et incolore qui danse sous l’effet des bouffées de vent tiède, presque à portée de ma main.

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Résolu, je m’appuie d’une main sur le tronc de

xgfhhl. C’est comme ça que je l’ai nommé. On communique en se touchant. Une sorte de principe du magnétisme ou de mesmérisation (pour les connaisseurs). La transe est immédiate quand on ne s’y attend pas tant mes copains sont chargés. Mais on s’habitue. Les effets s’estompent avec le temps et les essais, on ne retient que ce qu’ils ont envie de communiquer. Pour eux l’effet est le même au début. Il arrive qu’ils en oublient de faire tomber leurs feuilles ! Maintenant comme un vieux couple, on s’échange de bonnes plaisanteries sur nos apparences physiques ou sur le temps qu’il va faire. Avec ma main accidentellement appuyée pour mon équilibre, c’est juste un « ça va ? ». L’autre c’est wxghll, un arbre de la même espèce. Pas le même âge à ce que j’ai compris. Leurs racines se seraient rapprochées sous terre et leur permet un contact permanent.

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Ying et yang ? Ils ont leurs caractères, c’est sûr. Leur point commun c’est une immense gentillesse et une énorme ignorance pour ce qui est situé au delà de la colline où nous vivons. Quand le vaisseau s’est écrasé sur Isabella, ils ont eu peur. Très peur. Puis quand le gros tuyau tordu a fini par s’immobiliser sur le champ de caillasse du sommet de la colline, ils ont patiemment attendu pour connaître la suite. La peur, ça ils connaissent. Je crois que leur sociabilité vient de leur conscience de tous les êtres inférieurs qui les fréquentent. Inférieur n’est pas le bon mot. Je ne suis pas trop éco-sensible non plus. Mais ici, sur Isabella, tout à l’air si compliqué que rien n’est inférieur à un autre organisme vivant. Pas de ying ni de yang... Plutôt alors un seul yi-ang. C’est exactement la pensée qui me traverse maintenant l’esprit quand je boutonne la dernière chemise qui me reste. En fait j’hésite car ce bouton, le seul qui reste je l’ai raccommodé des centaines de fois. Et pour le voyage que je m’apprête à faire, je me demande si c’est utile ? Finalement, le moment est symbolique, alors...

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Sans dire au revoir à mes amis feuillus qui veilleront sur la carcasse qui m’a servi pendant tant d’années de logis, je marche sans faiblir en direction de la rivière. Léger, sans bagage. Ici il n’y a besoin de rien pour entreprendre un voyage. Il y a des trucs comestibles partout et de l’eau douce autant qu’on veut. Cette fois j’ai décidé d’aller encore plus loin que d’habitude en suivant la course de la rivière. Il doit bien y avoir une mer ici ? L’autre excuse, c’est que malgré mon pied et mon âge, je suis encore en bonne santé, merci au matériel d’ hibernation qui a finit aussi par tomber en panne. Allons donc explorer un peu plus loin que le bout de mon nez, Isabella, au delà de sa forêt immédiate à mon horizon.

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petit voyage pour elle